Tu étais endormie quand ton réveil a sonné. Tu as lentement émergé des profondeurs du sommeil, puis tu as éteint l’objet, afin que l’alarme incessante ne t’agresse plus les tympans. Tu es restée là, un moment, fixant le plafond, comme s’il allait t’apporter une réponse existentielle sur le sens de tout ce qu’il se passait autour de toi. Des faisceaux de lumières passaient à travers les volets, laissant plein de petits points blancs sur les murs, te faisant presque l’effet d’être à l’intérieur d’un gruyère. Tu t’es levée, repoussant tes couvertures, avant d’aller faire un brin de toilette, puis finis dans la salle de bains pour aller t’habiller. Tu en ressortis quelques minutes plus tard, habillée d’un jean sombre, d’un pull blanc, tes éternelles bottines et un manteau chaud pour te protéger du froid mordant. Avant de sortir, tu pris quand même la décision de prendre ton écharpe. Tu n’as pas envie de tomber malade.


Dehors, la neige tombait à petits flocons. Tu arrêtas tes pas, regardant le ciel aussi blanc que ce qui en tombait. Tu sortis les mains de tes poches, tendant les paumes vers le ciel, attendant que les flocons à la forme complexe se posent sur ta peau, avant de s’effacer.


Tu remis tes mains au chaud, avançant de nouveau. Les rues vivaient, malgré le fait qu’il n’était à peine huit heures. Comme tous les samedis matins, tu te rendais à la librairie pour te mettre au travail. Cependant, comme tous les matins aussi, tu te rendais au quartier commercial pour aller prendre ton petit déjeuné, ayant la fainéantise de le faire toute seule. Arrivée au café, tu eus la surprise de constater qu’il était rempli. Tu soupiras, tandis que tu pensais que tu préférais rester seule dans ton coin lorsque tu venais de te réveiller, mais tu n’avais pas vraiment le choix, aujourd’hui. Et aller dans un autre café te semblait impensable. Depuis que tu étais ici, tu n’allais manger nulle part qu’ici. Ils faisaient les meilleurs moelleux au chocolat que tu n’aies jamais mangé.


Tu parcourais des yeux la salle, les gens qui s’y trouvaient, mais surtout les places libres. Tu allais être obligée de t’asseoir à côté d’un inconnu. Peut-être que ça te permettrait de faire connaissance avec quelqu’un. Mais tu en doutais profondément. Tu te dirigeas vers la table la plus proche, où se trouvait une place libre.

« Je peux m’asseoir ? »

Tu regardais la personne, à la fois consternée de devoir donner l’autorisation, mais aussi gênée de le faire ainsi.

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La jeune fille que tu venais de déranger t’accorda le privilège que tu venais de lui demander. Elle aurait pu refuser, elle aurait pu attendre quelqu’un. Mais non, elle t’avait aimablement répondu qu’elle était d’accord, et ce, avec un sourire. Tu lui souris à ton tour, comme pour dire merci, chose que tu ne diras pas. Ce serait juste un sous-entendu.

Tu t’es assise, as retiré ton manteau pour le laisser pendre sur le dossier de ta chaise en bois. Une serveuse revint avec la commande de ta sauveuse, et tu en profitas pour lui demander un café au lait avec un moelleux au chocolat. Ta gourmandise avait encore une fois pris le dessus sur le reste, mais tu n’y pris pas trop attention. Comme pour te rassurer, tu te dis que manger par un temps pareil ne pouvait être que bénéfique.

Alors l’employée du café s’éloigna, et vous laissa seules, en tête à tête. Tu ne te souvenais pas de l’avoir vue, mais tu ne pouvais en être sûre ; pensive comme tu étais, il était bien possible qu’elle t’ait adressé la parole une fois, avant de lui avoir répondu distraitement, comme un robot. Mais sans doute t’en aurait-elle fait le reproche, ou t’aurait annoncé que vous vous connaissiez. Or ce n’était pas le cas, ce qui t’évita pour une fois de te sentir bête devant les gens qui se souvenaient de toi, mais dont tu ne gardais aucun souvenir.

Tu hésitas un long moment pour savoir si tu devais entamer la conversation. Tu te disais que tu l’avais sans doute assez dérangée comme cela, en t’invitant à sa table. Mais tu pensais que ce serait peut-être plus poli et plus agréable de lui parler que de faire comme si elle n’existait pas.

« Il y a un monde fou aujourd’hui. Vous venez souvent ici ? »

Malheureusement, tu ne savais pas de quoi parler. Ton monde était rempli de créatures imaginaires, d’un immense vide, de planètes, de constellations, de pensées. Mais les mots étaient comme difficiles pour toi. Certes, tu savais t’exprimer sur le papier, mais lorsque les mots sortaient de ta bouche, ils sonnaient comme faux. Du moins, pour toi. Tu t’étonneras toujours de la facilité avec laquelle certaines personnes parlent, même si elles ne connaissent pas leur interlocuteur. Ces personnes-là pouvaient avouer leurs secrets les plus fous, sans qu’elles ne soient gênées. Toi, tu l’étais rien qu’à les entendre. Ce genre de personnes, qu’on appelait des moulins à paroles –tu n’as d’ailleurs jamais compris cette expression- t’exaspéraient au plus haut point. Cependant, tu espérais que cette jeune fille en soit une de ces personnes, pour avoir l’air de discuter avec elle, sans que tu ne fasses rien. Sans que tu sois obligée d’écouter.

La serveuse revint avec ta commande, et tu la remercias faiblement. Tu payas ta consommation dès lors, comme à ton habitude, et collais tes mains fraîches contre la tasse, qui brûla instantanément ta peau claire. Cependant, tu ne retiras pas tes mains, appréciant la chaleur qu’elle dégageait, même si tu n’avais pas vraiment froid.